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La mer pour mémoire, les coraux pour témoins

Au niveau d'un récif, le corail a 2 fonctions principales pour l'homme: abriter une faune dont il se nourrira (les récifs coralliens abritent 25% de la faune marine) et protéger les côtes face aux cyclones. Cependant 20% de la totalité des récifs coralliens a déjà été perdu.
Le corail est une colonie d'invertébrés (à l'instar des anémones et des méduses) protégées par un squelette calcaire externe. Il vit en symbiose avec des algues microscopiques (d'où il tire sa couleur). La survie du corail dépend de la salinité de l'eau et de la température de celle-ci. Lorsque la température de l'eau s'élève trop, le corail expulse l'algue avec laquelle il vit en symbiose et blanchit, puis meut s'il ne récupère pas une algue avec laquelle vivre.
Il a été constaté que l'expulsion de l'algue n'entraînerait pas toujours la mort du corail. En effet, celle-ci peut réintégrer l'union symbiotique ou encore être remplacée par une algue plus adaptée au nouvel environnement du corail. Le plus grand danger pour le corail n'est donc pas forcément l'augmentation de la température, mais le gaz carbonique dissout dans l'eau qui agit comme un acide sur leur squelette calcaire.
Le 7 octobre 2005, un navire embarquant 27 scientifiques de neuf pays différents et des dizaines de techniciens qualifiés quitte le port de Papeete (Tahiti) dans le cadre de la plus importante mission offshore de forages menée dans le récif fossile à Tahiti, la «Tahiti Sea Level expedition», réalisée dans le cadre de l'expédition 310 de l'IODP (Integrated Ocean Drilling Program). Les chefs de mission sont le français Gilbert Camoin et le japonais Yasufumi Iryu. Au total, 3 scientifiques français sont de la partie: Gilbert Camoin (CEREGE, Aix-en-Provence), Guy Cabioch (IRD, Nouméa) et Pierre Deschamps (CEREGE, Aix-en-Provence).
Le but de la mission est de reconstruire la courbe de variation du niveau de la mer depuis la fin de la dernière ère glaciaire (il y a environ 23.000 ans), la courbe de variation de la température de la surface de la mer, la courbe de variation de la salinité de l'eau et d'analyser les effets des changements climatiques sur la construction de la barrière corallienne.
Reconstruire ces courbes permettra de connaître la variabilité climatique naturelle. Une fois cette connaissance acquise, il sera plus aisé d'élaborer des modèles mathématiques qui permettront d'extrapoler les variations climatiques futures. On sait que les glaciations et déglaciations font l'objet de phases astronomiques. On constate une période chaude tous les 100.000 ans. En période de glaciation, le niveau de l'eau peut descendre d'environs 140 mètres. La plus grande profondeur à laquelle on peut actuellement trouver du corail est d'environs 120 mètres.
La crainte actuelle des scientifiques est un emballement de la machine climatique et par conséquent, une plus grande fréquence des catastrophes liées au climat. Les spécialistes estiment qu'en 100 ans d'activité humaine, le réchauffement correspond à 500 ans de réchauffement systémique. Mai le réchauffement n'est pas homogène; il est plus important dans l'arctique.
Au cours de la dernière déglaciation, le niveau marin est monté de l'ordre de 130 mètres à une vitesse moyenne de 10 milimètre par an, une vitesse à peine supérieure à celle envisagée pour le prochain siècle à partir des simulations réalisées dans l'hypothèse d'une élévation rapide de la température à l'échelle globale. Cette vitesse moyenne a été dépassée à 2 reprises pour atteindre 37 milimètre par an il y a 14.000 ans et 25 milimètre par an il y a 11.000 ans. Il est donc indispensable de vérifier si ces accélérations correspondent ou non à des phénomènes globaux.
Le corail apparaît ici comme le témoin privilégié des changements climatiques qu'a connu notre planète. Il constitue un marqueur et un enregistreur des plus remarquables de tous ces changements passés et à venir grâce à la composition de son squelette calcaire.
Pourquoi une campagne de recherche à Tahiti?
Parce que Tahiti est éloigné de l'Europe et des autres grands centres d'activité humaine; parce que Tahiti est relativement jeune (400.000 ans); parce que des études antérieures montrent que la croissance du corail y est importante; parce que Tahiti se trouve dans une zone présentant peu de mouvements tectoniques.
L'expédition se proposait de réaliser en 6 semaines de fonctionnement 24 heures sur 24 un total de 19 forages de 80 à 100 m de longueur moyenne et distribués en trois zones autour de l’île de Tahiti, à des profondeurs d’eau comprises entre 30 et 300 mètres afin de récupérer l’intégralité de la série récifale post-glaciaire.
Lors des carottages, le bateau était maintenu stable par 8 moteurs pour ne pas dévier le trépan et fixe par rapport à une position GPS déterminée à chaque instant.
Le forage ne s'est fait que dans du corail mort. Les équipes de techniciens ont bien pris garde de ne pas endommager le corail vivant. Ce qu'on voit du corail en plongée est la partie vivante de celui-ci. Il peut y avoir plus de 90 mètres de corail mort par dessous.
Le travail consiste dans un premier temps à remonter les carottes de corail. Elles sont ensuite sciées en 2 dans le sens de la longueur pour faire l'objet d'une analyse au microscope. On constate que les carottes sont composées pour 5% de corail, d'algues rouges qui ont probablement recouvert le corail après sa mort, et pour la plus grande partie de microbialistes, sorte de bactéries.
Lorsque les carottes de corail sont remontées, elles font l'objet d'une analyse micro biologique et d'un scanner. Elles sont ensuite entreposées dans des containers réfrigérés en attendant d'être acheminées à Bremme en Allemagne.
Une fois cette première analyse faite, le corail fait l'objet d'une datation au spectromètre de masse. Les chercheurs procèdent ensuite à un séquençage ADN des bactéries.
En novembre 2007, l'ensemble des chercheurs qui ont participé à cette expédition ou dont les études se basent sur les échantillons rapportés se réunira pour une première mise en commun des résultats de leur recherches.
L'état mondial du récif fait l'objet d'une publication tous les 2 ans. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) dont le but est "d'évaluer l'information scientifique, technique et socio-économique pertinente pour comprendre le risque du changement climatique d'origine humaine" fait une synthèse sur le climat, une mise en commun. Il en ressort que la température globale a augmenté au 20e siècle, qu'elle va continuer à augmenter de 1 à 6 degrés °C, que le niveau des mers va continuer à montrer, jusqu'à 60 cm en 2100, mais principalement par effet de dilatation thermique et que la répartition de cette montée des eaux ne sera pas uniforme.
La mer pourrait monter de 4 à 6 mètres en Europe, ce qui s'est déjà vu à l'échelle géologique. Mais il y a d'autres populations qui seraient menacées, notamment les petites îles du pacifique. Par exemple, en cas de montée des eaux, la population de Tuvalu évacuée en Nouvelle-Zélande sera la première population disposant du statut de réfugié climatique.
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